Comment négocier avec les Anglais ?


🟩 Ils disent "interesting" quand ils trouvent votre idée complètement à côté de la plaque.
Ils vous assurent que "we should definitely do lunch"… puis disparaissent dans un silence élégant.
Ils maîtrisent à la perfection l’art de dire non sans jamais prononcer le mot.

Bienvenue dans la négociation à l’anglaise.


Un univers feutré, où l’understatement est roi, où la forme prime souvent sur le fond, et où les règles implicites comptent plus que tout contrat.

Négocier avec des Anglais, c’est comme écouter de l’humour britannique : tout est dans le second degré, et la vraie réponse est rarement celle que vous entendez.

Quand « oui » veut dire « non »

Il avait roulé sa bosse sur tous les continents, dirigé des lancements depuis le siège new-yorkais d’IBM, coordonné des campagnes globales avec des équipes aux quatre coins du monde. Mais chaque fois qu’il posait le pied en Europe, il savait que ça allait être compliqué.

Ce directeur marketing international du géant de l’informatique, me confiait un jour, mi-fasciné mi-désabusé :

« En Europe, une même décision peut produire cinq réactions différentes »

Avant chaque lancement majeur, cet ancien collègue faisait la tournée des pays pour obtenir l’adhésion des équipes locales. Et ce qu’il avait découvert, c’est que chaque culture avait sa partition bien à elle.

Les Italiens, par exemple, allaient droit au but :
« Non. Ce produit ne marchera jamais ici. »
Clair, net, sans chichis. Et ils se tenaient souvent à leur jugement.

Les Allemands et les Scandinaves ? Efficacité glaciale. Ils écoutaient, posaient quelques questions, puis déroulaient le plan sans un mot de trop.

Et puis… il y avait les Anglais.

Ah, les Anglais..

« Ce sont les plus chaleureux, les plus positifs… et les plus imprévisibles. »

À chaque présentation, c’était un festival d’enthousiasme :
« Oh my God, what a brilliant idea! We’re so excited to get on board! Truly inspiring, really… »
Le directeur en ressortait gonflé d’optimisme, convaincu d’un succès immédiat.

Mais les semaines passaient… et il se rendait compte qu’en réalité, rien n’avait bougé. Ou plutôt, si : les équipes faisaient à leur manière. Poliment. Discrètement. Sans jamais frontalement contester, mais sans vraiment suivre non plus.

🟥 Le pouvoir du non-dit (et pourquoi votre directivité française les crispe)

L’erreur classique du négociateur non averti : penser que l’absence d’objection vaut approbation.
En Angleterre, on préfère souvent contourner le conflit plutôt que l’affronter. On esquive, on nuance, on glisse. On préfère dire "that might be a bit challenging" plutôt que "it’s out of the question."

Ce que ça veut dire pour vous : apprenez à lire les silences, les hésitations, les formulations confuses. Un "not bad" peut vouloir dire "plutôt mauvais", ou « carrément génial » selon le contexte et un "perhaps" signifie souvent "non".

En management interculturel, c’est ce qu’on appelle les atténuateurs (par rapport aux intensificateurs). Il s’agit, pour certaines cultures de favoriser (inconsciemment bien entendu) des formulations très soft afin d’éviter la confrontation. Et les anglais sont les champions du monde dans l’utilisation des atténuateurs (pour plus d’information sur la négociation multiculturelle je vous invite à lire mon article dans Harvard Business Review France : « Négociation internationale : faut-il se soucier des différences culturelles ? »

Un néerlandais n’hésitera pas à qualifier une proposition de « totalement inacceptable » alors qu’un Anglais la jugera « interesting ». Ce qui veut dire strictement la même chose sur le fond.

🟨 La politesse comme écran de fumée (et outil de pouvoir)

La courtoisie n’est pas qu’un code social : c’est une arme stratégique.
Loin d’être naïfs ou passifs, les Anglais savent parfaitement défendre leurs intérêts. Mais ils le font à la manière du judo : en utilisant la force de l’autre contre lui.

Le piège : confondre ton feutré, « friendly » et absence d’agenda. Cette apparente décontraction combinée à un discours sans aspérité drapé dans un humour à la Hugh Grant n’a qu’une mission : zigzaguer avec agilité et subtilité sur l’échiquier des objections.
La leçon : ne vous endormez pas sur leur ton mesuré. Leur calme apparent peut masquer une stratégie très ferme.

🟪 Le consensus... mais sans perdre la face

La recherche du compromis est réelle, mais elle s’habille d’élégance.
Dans un pays où "every man’s home is his castle", la négociation respecte les formes : chacun doit pouvoir repartir avec dignité. La brutalité dans les deals est mal vue ; la persuasion douce, elle, est valorisée.

Stratégie efficace : co-construisez, impliquez-les dans le raisonnement. Et surtout, laissez-leur une porte de sortie honorable s’ils doivent changer de position.

C’est un jeu d’apparences. Les Anglais sont passés maîtres dans l’art du soft power. À vous d’apprendre leur grammaire.

En résumé..

Négocier avec un Anglais, ce n’est pas signer un contrat, c’est entrer dans une danse subtile de signaux faibles, d’alliances implicites et de langage codé.

Ne vous fiez pas au ton poli : il peut masquer des lignes rouges très fermes.
N’interprétez pas leur humour comme un manque de sérieux : c’est souvent un moyen de reprendre le contrôle.
Et surtout, ne vous imaginez pas qu’ils sont d’accord simplement parce qu’ils ne vous ont pas contredit.

La bonne approche ? Plus d’écoute, moins de projection.
Moins de "voici ce que je veux", plus de "voici ce que nous pourrions imaginer ensemble."

Et si vous arrivez à décoder leur subtilité, vous découvrirez que derrière le flegme britannique… se cache une forme de négociation parmi les plus redoutables au monde.

Philippe Roy

Fondateur de Red Yucca

Auteur de L’Envers du Deal

P.S. : Si ça vous parle, ou si vous avez vécu une négociation avec nos amis anglais, écrivez moi (pr@red-yucca.com). Je vous lirai avec attention et partagerai, si vous le souhaitez, votre expérience.

Philippe Roy

Je parle de négociation de manière inhabituelle et non conventionnelle. Je montre la négociation telle qu'elle est dans la "vraie vie". Pas comme dans les livres. Je suis le fondateur de Red Yucca, une société spécialisée dans les stratégies d'influence et les négociations complexes pour les grandes organisations. J'écris également pour Harvard Business Review & Forbes.

Read more from Philippe Roy

J’ai récemment publié un article dans Forbes, intitulé « Votre façon de négocier est-elle obsolète ? » Mon propos était d’affirmer que les négociations sont devenues encore plus conflictuelles voire brutales qu’elles ne l’étaient auparavant. Et que si l’intensité de cette conflictualité a évolué, les méthodes utilisées par les organisations demeurent les mêmes que par le passé. Il est donc temps d’évaluer les capacités d’une organisation – et des individus qui la composent – à négocier...

On croit savoir ce qu’est un bon négociateur. Un mental d’acier. Une voix assurée. Une capacité à encaisser la pression sans sourciller, à garder le cap dans la tempête. Un brin manipulateur, très stratégique, et surtout toujours à l’aise à la table des négociations. Mais dans les négociations les plus complexes, les plus verrouillées, les plus sensibles politiquement… ce n’est pas forcément celui qui parle le plus fort qui fait avancer la pièce. C’est souvent celui qui voit ce que les autres...

🟥 Quand j’ai lancé Red Yucca, j’ai choisi de créer une société de conseil un peu à part. Un cabinet spécialisé en stratégies d’influence, en négociations complexes, et en relationship management. Pas un cabinet généraliste. Pas une usine à slides. Une structure agile, pour aider les entreprises à reprendre le pouvoir face à des partenaires dominants. À l’époque, une part importante de mon activité concernait un sujet que peu de gens osaient vraiment attaquer : la renégociation des frais de...