L'Envers du Deal: Croyances limitantes et négociation


🟥 Quand j’ai lancé Red Yucca, j’ai choisi de créer une société de conseil un peu à part.

Un cabinet spécialisé en stratégies d’influence, en négociations complexes, et en relationship management.

Pas un cabinet généraliste. Pas une usine à slides.

Une structure agile, pour aider les entreprises à reprendre le pouvoir face à des partenaires dominants.

À l’époque, une part importante de mon activité concernait un sujet que peu de gens osaient vraiment attaquer : la renégociation des frais de paiement. Ces fameux taux de commissions tant critiqués par les commerçants. Je travaillais avec des compagnies aériennes, des chaînes hôtelières, des groupes de luxe, des plateformes de réservation, des retailers etc...

Autant dire que je ne m’attendais pas à trouver beaucoup de concurrence sur cette niche aussi pointue que complexe.

J’avais raison.

Mais j’avais aussi tort.

🟨 Au début, tout se passait bien. Je rencontrais des DAF, des responsables achats, des directeurs de la trésorerie.

Et à chaque fois, la scène se répétait : je décrivais la mécanique complexe et contre intuitive des frais de paiement, les leviers de négociation méconnus, les clauses contractuelles passées sous silence… et mes interlocuteurs opinaient avec une intensité palpable.

Certains se redressaient sur leur chaise.

D’autres laissaient échapper un rire nerveux.

Parfois, on me disait : « Mais c’est exactement ça, Monsieur Roy. Vous mettez des mots sur ce qu’on vit depuis des années! »

Je croyais avoir gagné. Mais c’est là que ça se gâtait.

Juste après cette belle connexion, venait le moment de basculer vers l’action.

Et là, stupeur !

Mon interlocuteur me regardait, sincère, et me disait une phrase que j’ai fini par connaître par cœur : « C’est très intéressant… mais à mon avis, on ne peut rien y faire. »

Comment ça, rien à faire ? Vous venez de passer 45 minutes à me dire que c’était injuste, opaque, mal fichu. Et maintenant, vous me dites que c’est perdu d’avance ?

🟪 C’est là que j’ai compris. Mon vrai concurrent, ce n’était pas une autre société de conseil.

Ce n'était pas non plus une société d'optimisation des coûts.

C’était une voix intérieure.

Une petite phrase logée dans un coin du cerveau de mes futurs clients : « De toute façon, nous n'avons aucun pouvoir. »

Ce qu’on appelle une croyance limitante.

Invisible, silencieuse, mais diablement efficace. C’est elle qui sabote la négociation avant même qu’elle commence.

C’est elle qui dit :

« On a toujours fait comme ça »

« Ils sont trop gros pour qu’on négocie »

« Ce n’est même pas la peine d’essayer »

Et elle agit avec une efficacité redoutable.

Ce phénomène n’est d'ailleurs pas propre aux grandes entreprises ni à la négociation. En fait les croyances limitantes sont au départ surtout connues dans des contextes de développement personnel ou de management de carrière. Le phénomène est d'ailleurs bien expliqué dans un numéro de la newsletter Rébellion, dans laquelle Stéphanie Daudier décrit ces croyances limitantes qui paralysent les transitions professionnelles après 50 ans.

Différents contextes, mêmes prisons mentales. Qu’il s’agisse d’oser renégocier avec un géant ou de se réinventer professionnellement, les mêmes phrases ressurgissent : “Je ne suis pas légitime” “Je n’ai pas le choix” “Cela ne marchera jamais”

Et le plus troublant, c’est qu’elles deviennent auto-réalisatrices. On ne négocie pas… donc on n’obtient rien… donc on se persuade qu’on avait raison de ne pas négocier. CQFD.

J’en parle plus en détail dans mon article récemment publié sur Harvard Business Review France.

🟩 Heureusement, ces croyances peuvent vaciller. Souvent, il suffit d’un levier rationnel : une économie de plusieurs millions d’euros à portée de main.

Ou d’un changement de perspective : « Et si l’on avait accepté l’inacceptable pendant des années, simplement par habitude ? »

Ce qu’il faut en retenir, c'est qu'avant d’entrer en négociation, il peut être utile de se poser ces trois questions :

1. Qu’est-ce que je considère impossible ici – et pourquoi ? Est-ce une réalité objective, ou une interprétation lié à un ancrage historique d'une croyance construite ?

2. Ai-je renoncé à quelque chose avant même d’avoir essayé ?

3. Qui m’aide à prendre du recul sur mes automatismes ? (Car seul, il est difficile de débusquer ses propres filtres.)

Et surtout, garder à l’esprit ceci : Dans une négociation, le principal obstacle n’est pas toujours en face. Parfois, il se loge dans notre propre discours intérieur.

Un moyen efficace de les identifier, ces croyances silencieuses, consiste justement à ne pas rester seul.

Il existe des coachs pour accompagner les prises de fonction, les transformations managériales ou les dynamiques de comités de direction.

Alors pourquoi pas pour la négociation ?

Après tout, c’est l’un des derniers remparts de la rentabilité. Et l’un des rares leviers qui agit directement sur les marges.

Se faire accompagner dans une négociation critique, c’est éviter de jouer une partie truquée, où les dés sont pipés avant même d’avoir lancé le premier échange.

C’est aussi, parfois, s’autoriser à voir des portes là où l’on ne voyait que des murs.

Philippe Roy

Fondateur de Red Yucca

Auteur de L’Envers du Deal

P.S. : Si ça vous parle, si vous souhaitez partager une expérience ou si vous voulez me poser une question, écrivez moi directement (pr@red-yucca.com). Je vous répondrai.

Philippe Roy

Je parle de négociation de manière inhabituelle et non conventionnelle. Je montre la négociation telle qu'elle est dans la "vraie vie". Pas comme dans les livres. Je suis le fondateur de Red Yucca, une société spécialisée dans les stratégies d'influence et les négociations complexes pour les grandes organisations. J'écris également pour Harvard Business Review & Forbes.

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