L'Envers du Deal : TDAH, HPI, hypersensibles… et brillants en négociation ?


On croit savoir ce qu’est un bon négociateur.

Un mental d’acier. Une voix assurée. Une capacité à encaisser la pression sans sourciller, à garder le cap dans la tempête. Un brin manipulateur, très stratégique, et surtout toujours à l’aise à la table des négociations.

Mais dans les négociations les plus complexes, les plus verrouillées, les plus sensibles politiquement… ce n’est pas forcément celui qui parle le plus fort qui fait avancer la pièce.

C’est souvent celui qui voit ce que les autres ne voient pas.
Celui qui sent que quelque chose cloche, avant que ça n’explose.
Celui qui trouve une option B, C ou D, quand tout le monde s’acharne sur A.
Celui qui perçoit un déséquilibre émotionnel, une faille, une dissonance.

Et si je vous disais que ces qualités-là — intuition, finesse, pensée latérale, imagination — sont souvent très développées chez les cerveaux atypiques ?

On parle souvent du profil des négociateurs : belliqueux, conciliants, collaboratifs, passif agressifs, manipulateurs, pervers, menteurs etc.. mais la littérature sur la négociation aborde peu voire pas du tout de l’apport des profils neurodivergents comme les TDAH (Trouble de l’attention avec ou sans hyperactivité), HPI, hypersensibles, dyslexiques etc..

Pourtant, comme je l’ai récemment illustré dans une tribune pour Courrier Cadres, ces « personnalités » ont beaucoup à apporter dans le monde du travail.

Plus précisément, mon expérience personnelle en matière de négociation m’a amené à côtoyer ces talents si particuliers et je me suis aperçu que leur contribution dans une négociation était d’une valeur inestimable.

Explication.

Voici 5 raisons pour lesquelles les profils atypiques sont de précieux atouts en négociation.

1. Parce qu’ils sentent ce que les autres ne perçoivent pas

Un bon négociateur ne se contente pas d’analyser ce qui est dit.
Il capte ce qui n’est pas dit — ou qui est dit autrement : un soupir mal contenu, un regard qui se dérobe, une hésitation sur un chiffre, un sourire trop appuyé.

Les profils atypiques, en particulier les hypersensibles, disposent souvent d’une intelligence émotionnelle intuitive, qui leur permet de percevoir les incohérences, les tensions latentes, ou les non-dits.
Mais ce n’est pas tout : leur sensibilité peut aussi leur donner une forme de boussole intérieure, leur permettant de ressentir si quelque chose sonne juste ou faux, même en l’absence de preuve tangible.

Et dans une négociation, où l’information est rarement neutre — souvent biaisée, parfois partielle, voire mensongère —, ce genre de signal faible perçu émotionnellement vaut de l’or.

2. Parce qu’ils voient des issues là où tout le monde est bloqué

Dans une négociation en impasse, la majorité des interlocuteurs cherchent une solution dans un cadre limité de possibilités, souvent dicté par la logique dominante, les contraintes du mandat ou les précédents.

Les profils atypiques, eux, mobilisent une forme de pensée dite arborescente :
une manière de réfléchir en réseau, en embranchements multiples, où chaque idée en fait naître plusieurs autres, parfois sans lien direct apparent.
Là où la pensée linéaire avance étape par étape (A → B → C), la pensée arborescente saute, bifurque, connecte des éléments éloignés, construit des scénarios alternatifs en dehors des chemins balisés.

Cette structure cognitive, fréquente chez les TDAH et les HPI, produit des éclairs de créativité, des analogies inédites, l’exploration de nouveaux « possibles ».
Et en négociation, cela peut faire toute la différence : imaginer une sortie par le haut, inventer une formulation alternative, proposer une clause non envisagée, bâtir une solution à trois partenaires au lieu de deux, bref, sortir du cadre.

Autrement dit : ils ne contournent pas le mur, ils redessinent le territoire.

3. Parce qu’ils challengent les évidences avec une vision décalée

Une des forces invisibles qui bloque les négociations, c’est l’effet de conformité : on pense tous pareil, on partage les mêmes biais, on se rassure mutuellement avec les mêmes raisonnements.

Les profils atypiques, eux, ne partagent pas toujours cette grille.
Parce qu’ils fonctionnent différemment, ils posent des questions que les autres ne se posent plus. Ils challengent des postulats devenus invisibles. Ils ont parfois une pensée naïve — mais cette naïveté est féconde.

Ils peuvent dire :
– “Pourquoi ne pas leur proposer ce qu’ils n’ont même pas demandé ?”
–“Et si le vrai levier, ce n’était pas le prix mais la réputation ?”
–“On part du principe qu’ils veulent gagner… mais s’ils voulaient juste ne pas perdre la face ?”

Leur vision décalée n’est pas une faiblesse. C’est une forme d’antibrouillard stratégique, dans des contextes saturés de conventions implicites.

4. Parce qu’ils perçoivent les micro-variations dans les relations humaines

La négociation ne se joue pas seulement dans les faits et les chiffres, mais dans l’atmosphère relationnelle : qui domine, qui cède, qui perd patience, qui cherche à plaire, qui se vexe.

Les profils atypiques — souvent hyperesthésiques — ont cette capacité à sentir les mouvements tectoniques des relations humaines.
Ils détectent les glissements de posture, les signaux de repli, les moments de perte de face ou d’inconfort.
Ils sentent quand un rapport de force commence à se retourner, ou quand un partenaire clé est en train de décrocher psychologiquement.

Et parfois, ils voient venir la rupture avant même qu’elle n'apparaisse.

5. Parce qu’ils pensent contre les normes – et parfois à rebours du groupe

Dans des environnements fortement normés (grandes entreprises, directions achats, institutions), la négociation devient souvent un exercice de conformité.
On négocie comme on l’a toujours fait. On vise un prix, une durée, une ligne juridique.

Les profils atypiques — parce qu’ils n’adhèrent pas toujours spontanément aux normes — sont capables de remettre en cause le scénario lui-même.
Ils sont parfois mal à l’aise avec les jeux de rôle, mais excellents pour voir le système dans lequel le jeu s’inscrit, et proposer une autre scène.

Ils peuvent donc ouvrir un nouvel espace stratégique, à condition qu’on les laisse penser librement — et qu’on accepte d’entendre leurs intuitions même quand elles dérangent.

En conclusion : penser autrement, c’est déjà négocier autrement

Il n’y a pas une seule manière de négocier.
Il y a des stratégies frontales et des approches intuitives.
Des techniques éprouvées et des approches inattendues.
Des logiques argumentatives et des logiques sensibles.

Même quand des profils atypiques n’ont pas été formés à la négociation, leur manière de penser — non linéaire, sensible, imaginative — leur permet souvent de détecter ce que d’autres ratent : un décalage, une tension, une faille, un espace caché, une voie 9 ¾ (les fans d’Harry Potter apprécieront).

Ils ne respectent pas forcément le scénario.
Mais ils voient l’envers du décor.

Et dans un monde de plus en plus codifié, balisé, modélisé, leur capacité à sortir du cadre — pour penser, sentir, relier autrement —
est peut-être ce qui manque le plus… à vos négociations.

Philippe Roy

Fondateur de Red Yucca

Auteur de L’Envers du Deal

P.S: Comme d’habitude, si vous souhaitez partager votre expérience personnelle ou avez des questions, n’hésitez pas à me contacter directement (pr@red-yucca.com).

Red Yucca conseille les entreprises sur leurs négociations critiques et les aide à bâtir une culture de négociation plus solide, stratégique et alignée avec leurs intérêts.

Philippe Roy

Je parle de négociation de manière inhabituelle et non conventionnelle. Je montre la négociation telle qu'elle est dans la "vraie vie". Pas comme dans les livres. Je suis le fondateur de Red Yucca, une société spécialisée dans les stratégies d'influence et les négociations complexes pour les grandes organisations. J'écris également pour Harvard Business Review & Forbes.

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