J’ai eu la chance, il y a un peu moins d’un an, d’assister à un cycle de conférences organisées par HSMAI Europe, l’une des plus grandes associations mondiales de l’industrie hôtelière (disclosure : j’en suis un advisory board member) sur des sujets divers et variés allant du leadership, des tendances de l’industrie, etc . Lors de cet évènement qui a eu lieu dans l’iconique Savoy hotel à Londres, une spécialiste, Docteur en psychologie, a partagé l’apport des neurosciences en management et prises de décisions en univers professionnel. Ce qu’elle expliquait m’a rappelé une étude qui, à l’époque m’avait frappé : En 2016, des chercheurs de l’University College London ont branché des volontaires à des électrodes. (Sympa comme job étudiant..). L’idée ? comparer deux situations. Dans la première, les participants savaient exactement quand la décharge électrique allait tomber. Dans la seconde, mystère : peut-être un choc, peut-être pas, peut-être fort, peut-être léger. Résultat ? les cobayes préféraient la douleur certaine à l’incertitude. Même une décharge prononcée, annoncée à l’avance, faisait moins peur qu’un petit risque de surprise. Le stress venait moins du courant que de l’attente. Moralité : notre cerveau déteste l’incertitude plus que la douleur elle-même.
Pourquoi l’incertitude nous stresse tant ?Sur le plan psychologique, c’est logique. L’incertitude active dans le cerveau les mêmes circuits de stress que les menaces directes. Elle maintient l’organisme en alerte, mobilise inutilement de l’énergie, et crée une tension chronique. Les chercheurs parlent de “coût cognitif de l’incertitude” : quand nous ne savons pas à quoi nous attendre, nous imaginons souvent le pire. Ce mécanisme, utile pour la survie dans un monde hostile, devient un piège lorsqu’il s’agit de prendre une décision rationnelle : nous préférons un mal certain à un risque inconnu, même si ce dernier pourrait être plus favorable. Quand ça se passe dans une négociation ?Prenons un cas concret. Vous êtes en train de négocier un contrat. On vous propose deux options :
La logique économique dirait qu’Option B laisse une chance d’économiser. Pourtant, dans la vraie vie, beaucoup choisissent l’Option A. Pourquoi ? Parce que, comme sous les électrodes, nous préférons un mauvais deal certain à une incertitude potentiellement meilleure. Et certains fournisseurs l’ont bien compris : ils cultivent volontairement le flou, pour nous pousser à acheter cher la tranquillité d’esprit. (ça fonctionne aussi côté client, sur l’engagement à travailler avec un fournisseur, ou sur des quantités achetées par exemple). Petit détour par la théorie des jeuxCe biais se retrouve dans les scénarios classiques de théorie des jeux. Imaginez :
Mathématiquement, le pari a plus de valeur attendue. Mais dans la pratique, une majorité choisit les 100 € sûrs. En négociation, c’est pareil : on paie un “premium” pour éviter l’angoisse de l’incertitude. On achète de la stabilité, même si ça coûte plus cher.
Est-ce rationnel ?La réponse à cette question est d’abord contextuelle, surtout dans le cadre d’une négociation. Mais à court terme, ce comportement n’est pas complètement irrationnel. La stabilité a une valeur psychologique et stratégique : elle permet de planifier, de rassurer les équipes, d’éviter des crises budgétaires. Ce “prix de la certitude” peut donc être vu comme un investissement rationnel. Mais à long terme, si vous acceptez systématiquement de payer ce « premium », vous devenez prévisible. Et face à des négociateurs bien entraînés, votre aversion au risque devient une faiblesse exploitable par l’autre partie. Ce que vous pouvez en tirer pour vos propres négociationsSavoir que la plupart des interlocuteurs détestent l’incertitude plus que le “mauvais deal” ouvre des opportunités très concrètes :
Learning final :Dans une négociation, l’incertitude est une monnaie d’échange à part entière. Une currency. Vous pouvez la réduire, la vendre, ou au contraire l’utiliser comme levier stratégique. Mais une chose est sûre : si vous la subissez sans en avoir conscience, c’est vous qui paierez la facture.
Philippe Roy Fondateur de Red Yucca Auteur de L’Envers du Deal P.S: Comme d’habitude, si vous souhaitez partager votre expérience personnelle ou avez des questions, n’hésitez pas à me contacter directement (pr@red-yucca.com). Red Yucca conseille les entreprises sur leurs négociations critiques et les aide à bâtir une culture de négociation plus solide, stratégique et alignée avec leurs intérêts. |
Je parle de négociation de manière inhabituelle et non conventionnelle. Je montre la négociation telle qu'elle est dans la "vraie vie". Pas comme dans les livres. Je suis le fondateur de Red Yucca, une société spécialisée dans les stratégies d'influence et les négociations complexes pour les grandes organisations. J'écris également pour Harvard Business Review & Forbes.
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J’ai récemment publié un article dans Forbes, intitulé « Votre façon de négocier est-elle obsolète ? » Mon propos était d’affirmer que les négociations sont devenues encore plus conflictuelles voire brutales qu’elles ne l’étaient auparavant. Et que si l’intensité de cette conflictualité a évolué, les méthodes utilisées par les organisations demeurent les mêmes que par le passé. Il est donc temps d’évaluer les capacités d’une organisation – et des individus qui la composent – à négocier...