L'Envers du Deal : Personal Branding & Négociation


Quand ma fille était petite, il m’arrivait comme tout parent de menacer de la punir pour avoir fait quelque chose qu’elle n’était pas censée faire. Mais la vérité, c’est que mes postures n’étaient pas très efficaces. Et comme elle me l’a fait remarquer un jour, elle n’était pas plus inquiète que cela parce que je mettais rarement mes menaces à exécution..

Résultat : elle a vite compris le jeu. Ma parole perdait de la valeur, et mon “autorité de parent” s’écroulait à chaque menace non suivie d’effet.
Ce n’était pas seulement une affaire d’éducation. C’était une leçon de négociation et de personal branding : si vous ne tenez pas vos engagements, promesses ou menaces, vous devenez aussi invisible qu’inaudible.



​Boris Johnson et le Brexit


Les exemples sont innombrables et je suis certain que si vous réfléchissez vous penserez facilement à plusieurs situations similaires. Dans le monde politique et diplomatique, pourtant censé être représenté par des négociateurs aguerris et expérimentés, nous avons également l’embarras du choix pour illustrer l’impact de ce phénomène.

Un exemple grandeur nature ? Boris Johnson au moment du Brexit. A un certain point de tension, il agitait de manière répétitive la menace d’un no deal avec l’Union européenne comme une arme fatale. Mais parce que ses menaces se contentaient d’être verbales, chacun savait qu’il ne voulait pas (ou ne pouvait pas) appuyer sur la gâchette. Résultat : sa menace a perdu tout impact.
Comme je l’ai partagé dans un article publié dans The European Business Review , pour qu’une menace – et surtout l’interlocuteur qui la profère - soit crédible, il faut la mettre à exécution :​

« If you stick out your gun, you’d better be ready to shoot, otherwise you’re just an idiot with a gun in your hand ! ».



En négociation, une réputation solide est un prérequis incontournable, y compris lorsqu’on est dans une situation de rapport de force favorable.



Quand l’image se brouille : l’exemple du Parti socialiste français


En politique comme dans la vie professionnelle, tout est affaire de clarté. De constance. De positionnement. Et à ce jeu-là, le Parti socialiste est récemment devenu un cas d’école… de ce qu’il ne faut pas faire.
Souvenez-vous : aux européennes, le PS (version Glucksmann) se posait comme une alternative claire : sociale-démocrate, pro-européenne. Résultat : 14 % des voix, une renaissance inattendue.


Puis, volte-face : alliance avec LFI. Puis, nouvelle volte-face : Olivier Faure se dit prêt à gouverner… mais surtout sans LFI, décrite comme infréquentable. Tandis que Glucksmann tend la main aux macronistes qu’il combattait hier encore.


Résultat : une marque politique illisible.
“On n’est pas comme eux” → “On est comme eux” → “On ne veut plus d’eux.”
Ce n’est pas de l’agilité. C’est une crise d’identité. Et comme pour une marque ou une carrière, une image floue détruit la confiance. Cette posture girouette, cette absence de positionnement clair jouera certainement contre le PS dans les négociations qu’il va entamer avec ses adversaires politiques – ces derniers se demandant certainement quand sera le prochain revirement de situation !

En fait le message que le PS envoie au reste du monde est : « on ne sait pas réellement qui on est, ce qu’on va dire et ce qu’on va faire ».

Le personal branding, c’est votre boussole


Le personal branding est une expression qui pullule un peu partout depuis quelques années.

Mais au fond c’est quelque chose de simple : c’est votre réputation.


Qu’il s’agisse de manager une carrière, d’évoluer en politique ou de mener des négociations complexes, si votre réputation n’est pas lisible et ancrée dans un positionnement clair, vous partez avec un handicap :
• Si vous changez de cap à chaque opportunité, vous devenez flou. Et les autres se méfient
• Si vous menacez sans exécuter, vous devenez transparent.
• Si vous tentez de plaire à tout le monde, vous ne séduisez plus personne.


Un bon personal branding repose sur trois piliers simples :
1. Lisibilité : qu’on comprenne vite qui vous êtes.
2. Constance : que votre ligne évolue, mais ne se contredise pas.
3. Cohérence : que vos choix forment un tout crédible.


Quand ces trois piliers vacillent, votre réputation devient une passoire. C’est vrai dans une posture de leadership. C’est vrai en négociation.



De la réputation à la croyance limitante


Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Car si vous êtes cohérent, si vous entretenez une réputation claire, vous pouvez aller encore plus loin : créer des croyances limitantes chez l’autre.
En psychologie, une croyance limitante, c’est ce filtre invisible qui réduit nos choix sans qu’on s’en rende compte : “Je ne suis pas légitime”, “Il est impossible de négocier avec ce type de clients ou de fournisseurs.”


Appliqué à la négociation, c’est redoutable. Si votre interlocuteur est persuadé qu’il n’a aucun levier face à vous, il s’autocensure. Il renonce avant même d’avoir tenté. C’est la négociation morte-née. (Je vous invite à lire l'une de mes chroniques sur Harvard Business Review si le sujet vous intéresse).
Des chercheurs comme James Sebenius et David Lax (3D Negotiation) rappellent que la négociation commence bien avant de s’asseoir à la table des négociations. Les croyances qu’on installe en amont façonnent déjà le rapport de force.

Être cohérent dans son personal branding, c’est non seulement crédibiliser sa parole, nourrir sa réputation mais parfois également fabriquer une réalité dans la tête de l’autre.



Conclusion – votre réputation négocie avant vous

Du parent qui menace sans agir, au Premier ministre britannique qui agite un no deal vide, au parti politique qui change de camp comme de chemise, la leçon est la même :
• Pas de crédibilité sans constance.
• Pas de pouvoir sans cohérence.
• Pas de deal solide sans une réputation claire.


Et mieux encore : quand votre personal branding est lisible et ancré, il devient une arme silencieuse. Les autres commencent à croire que vous êtes intouchable, incontournable, ou non-négociable.


Et dans une négociation, il n’y a rien de plus puissant que de voir l’autre s’autocensurer… avant même que vous ayez dit un mot..


Philippe Roy

Fondateur de Red Yucca

Auteur de L’Envers du Deal

P.S: Comme d’habitude, si vous souhaitez partager votre expérience personnelle ou avez des questions, n’hésitez pas à me contacter directement (pr@red-yucca.com).

Red Yucca conseille les entreprises sur leurs négociations critiques et les aide à bâtir une culture de négociation plus solide, stratégique et alignée avec leurs intérêts.

Philippe Roy

Je parle de négociation de manière inhabituelle et non conventionnelle. Je montre la négociation telle qu'elle est dans la "vraie vie". Pas comme dans les livres. Je suis le fondateur de Red Yucca, une société spécialisée dans les stratégies d'influence et les négociations complexes pour les grandes organisations. J'écris également pour Harvard Business Review & Forbes.

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